Jusqu’où le pétrole peut-il continuer sa chute?

Par Benoist Fechner  publié le 13/01/2015

Le cours du baril poursuit sa chute vertigineuse et se dirige tout droit vers des niveaux jamais vus depuis des décennies. De quoi favoriser la croissance en France et soulager le déficit budgétaire.

Il y a de l’eau dans le gaz sur les marchés pétroliers . Depuis le début de l’année, le cours du baril de brut est tombé, et c’est une première depuis 2009 -soit le plus fort de la crise, sous les 50 dollars. Que ce soit à Londres ou à New York. Les analystes, Goldman Sachs en tête, parient désormais sur un prix de référence sous les 40 dollars à un horizon de six mois et pour une moyenne annuelle autour de 50 dollars. Pire, par la voix du ministre de l’énergie des Emirats arabes unis, Suhaïl Mazroui, l’Opep avoue désormais son impuissance à « protéger » les cours, dont la dégringolade (-55%) est constante depuis juin. L’Express fait le point sur un marché qui semble devenu fou et où des influences contraires sont à l’oeuvre.

Pourquoi le pétrole baisse-t-il si fort?

Le principal facteur de la baisse à laquelle on assiste depuis plus de six mois tient à l’abondance de l’offre essentiellement liée aux productions américaines et canadiennes, conjuguée à un ralentissement économique en Europe et dans certains pays émergents. De ce point de vue, le prix constaté reflète donc parfaitement la réalité du marché, estime Francis Perrin. Contacté par l’Express, le patron de la revue Pétrole et Gaz Arabes  y voit en outre au moins trois facteurs aggravants.

« Il y a d’abord eu une importante percée de Daech en Irak  au printemps et des troubles en Libye qui ont fait flamber les cours au mois de juin. Or les marchés ont constaté que, loin de ralentir, la production avait même augmenté, en Libye notamment, ce qui, après un pic, a accentué la chute des cours ». Ensuite ce spécialiste des marchés pétroliers indique que « traditionnellement », le baril suit une tendance inverse au cours du dollar qui, quant à lui, ne cesse de monter. Enfin, « en décidant de ne rien faire lors de sa réunion de novembre, l’Opep a indirectement encouragé les marchés à spéculer à la baisse », accélérant ainsi la chute inexorable de l’or noir.

L’Opep est-elle impuissante à enrayer la dégringolade?

Contrairement à ce qu’il s’est produit dans les années 80, « l’Arabie Saoudite n’a pas fait chuter les prix », estime Francis Perrin. « Leur production est restée stable, mais les Saoudiens ont clairement fait le choix de l’inaction », à dessein. « Un pays producteur a généralement le choix entre deux stratégies: défendre le prix ou défendre ses parts de marché ». L’Arabie Saoudite et, avec elle, la plupart des pays du golfe ont donc opté pour la seconde option. Leur pari est, qu’à terme, en laissant filer les prix, le pétrole non-conventionnel, essentiellement tiré des gisements en Amérique du Nord, ne pourra plus faire face à ses coûts de production. Seulement, cette stratégie va mettre encore des mois avant de porter ses fruits, averti quant à lui Philippe Chalmin, grand spécialiste des matières premières.

Contacté par L’Express, ce professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine explique que « le pétrole de schiste est largement négocié à travers des contrats à terme ». « Les dernières émissions l’ont été sur la base d’un prix entre 80 et 90 dollars le baril », avance l’universitaire. Si les producteurs traditionnels veulent avoir un impact, il leur faudra donc tenir « au moins jusqu’à l’été. » A terme, « un prix faible pèsera sur la décision d’exploiter de nouveaux gisements » de schiste et finira par réduire mécaniquement la production américaine.

Mais si les pays du Golfe ont « les poches profondes » et les moyens d’être patients, il n’en va pas de même partout. « Aujourd’hui le Vénézuela (en récession en 2014), l’Iran, le Nigéria, la Russie (en pleine crise du rouble) ou encore l’Algérie, commencent à tirer la langue », constate l’universitaire. L’Ecosse, pour sa part, a déjà tiré la sonnette d’alarme, réclamant l’aide budgétaire du Royaume-Uni. Tous ces pays devront pourtant se faire une raison. Francis Perrin n’exclut pas un baril « sous les quarante dollars à court terme », quant Philippe Chalmin parie, lui, sur « une moyenne annuelle autour de 65 dollars » et sans doute « pas de remontée significative des cours avant le second semestre ».

Les bienfaits de ce contre-choc pétrolier sont-ils évidents?

Au moment d’établir le budget 2015 de la France, Bercy tablait sur un cours du baril à 70 dollars tandis qu’il est plutôt en route vers les 40 dollars. Il s’agit donc d’une excellente nouvelle sur le plan budgétaire, même si l’impact de la baisse des prix sur les rentrées fiscales est à prendre en compte. Pour Philippe Chalmin, on peut sans doute compter sur un bonus de croissance, plus symbolique que vraiment significatif, de l’ordre de 0,2 ou 0,3 points ». Une estimation en ligne avec celle de l’Insee  qui estimait le regain de croissance induit par un baril à 70 dollars à 0,2% sur les six premiers mois de l’année. Cela reste tout de même un coup de pouce bienvenu pour le gouvernement qui peine à réduire ses déficits et à contenir le chômage.

Pour Francis Perrin, les bienfaits de la baisse des cours sont incontestables, au moins à court terme, pour les pays importateurs. Cela vaut aussi bien pour la France que pour la zone euro. « Le prix du gaz étant largement indexé sur celui du baril, le consommateur a tout à y gagner et ce sera excellent pour notre balance commerciale ». Et puisqu’il y a plus de pays importateurs que de producteurs, la chute des cours est « également de nature à favoriser la reprise mondiale de l’activité », jusqu’à un certain point.

« Si les prix devaient rester durablement faibles, ce serait très mauvais pour l’innovation, dans le secteur énergétique notamment, mais aussi pour les politiques environnementales », avertit Francis Perrin. Mais surtout, cette chute pourrait finir par porter les germes d’un nouveau choc pétrolier à venir. « La baisse des cours a un impact négatif pour les compagnies pétrolières qui pourraient être tentées de réduire leurs investissements, ce qui renchérirait à terme leurs coûts de production qui ne manqueront pas de se répercuter tôt ou tard », estime-t-il.

 

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